PARCOURS
A propos de Claudine Ruellan
Née le 8 juillet 1956 à Saint-Brieuc, Claudine Ruellan est céramiste et réside à Lauros en Gironde, là où l’itinéraire d’une vie portée par le renouvellement s’est accordé pleinement à la volonté d’entrer plus en lien avec les éléments ; la terre, l’eau, le feu. Des côtes armoricaines qui demeurent une source d’éveils et de regards, l’artiste se souvient du sable recouvert par la mer et que l’on modèle avec un appétit d’enfant, des après-midis de pêche aux côtés d’un grand-père marin, du mouvement des vagues qui ruissellent entre les mailles des filets. Les mains de l’adulte embrassant plus tard les empreintes de l’enfance, la céramiste entre aux Beaux-Arts de Brest dans les années 1970. Elle suit après une formation d’éducatrice pour enfants, et s’y dédie, jusque dans les années 1990, avant d’être rattrapée par la terre.
La pratique de la céramique, riche de techniques et de traditions diverses, offre une multitude de possibilités de modelages et de cuissons, dont l’apparence finale des pièces dépend. En ce qui la concerne, Claudine Ruellan est partie du désir de sentir l’argile se plier et résister, toujours, aux formes impulsées par les doigts. Pas de tour, pas de colombins, du moins dans les premiers temps de son apprentissage. La rencontre avec Hélène Délis, céramiste installée alors au Cap-Ferret, au début des années 2000, contribue à professionnaliser sa pratique. Une exposition à la Galerie Artis Factum dédiée à la céramique, à Bordeaux, compte aussi parmi les étapes déterminantes de son parcours. Les rencontres artistiques éveillent l’esprit et permettent de prendre en charge la diversité des possibles. Ainsi, la céramiste réalise en 2010 un voyage à Kalabougou, au Mali, auprès de femmes potières qui travaillent la terre jusqu’à former d’immenses jarres érigées à la force des bras et du corps tout entier. C’est un souvenir bouleversant. Claudine Ruellan échange aussi avec la céramiste anglaise Linda Style, ou la peintre Albane Roux, avec lesquelles elle élabore sa recherche picturale. Les couleurs déposées à la surface des pièces sont souvent vives, mises en mouvement par des jeux de transparence, de laitance qui révèle aussi l’importance de la gestuelle. Les peintres du mouvement CoBrA, Karel Appel par exemple, mais aussi Juan Miro, Henri Matisse, figurent parmi les peintres admirés par l’artiste.
Du plaisir d’abord de modeler une pièce au rôle consacré de la cuisson et de ses effets à la surface des formes, de l’ocre de la terre aux amoures vert émeraude, cuivre, turquoise, cobalt, fer rouge, blanc, et l’enfumage du raku : les voies empruntées sont plurielles et sans cesse renouvelées. Néanmoins, la mer tient une place centrale dans l’iconographie des pièces de Claudine Ruellan : galets, filets, poissons, totems de la mer. Les formes travaillent l’énergie même de tout ce que l’océan façonne de roches et d’éléments minéraux, ce roulis de vagues qui vient former et déformer la matière. Comme l’évoque la céramiste, les totems de la mer, pièces verticales et imbriquées les unes aux autres, ont pour imaginaire les pieux de Gwinzegal, en Bretagne, qui sont ces grands bouts de bois auxquels les bateaux sont amarrés, et sur lesquels s’amoncèlent les algues et les particules minérales. Ils sont ces liens de la terre au ciel, dont une partie immergée, et appellent une symbolique spirituelle. Cette iconographie marine ne contrarie pas non plus une production plus typique de bols et d’autres formes de potier, toutes élaborées par différentes techniques d’émaillages et d’engobes, comme une cuisine de couleurs.
À Lauros, à la fin des années 1990, la céramiste est allée chercher la paix, la paix des éléments là où ils sont le plus libres. L’atelier est à quelques minutes de l’océan, installé entre les pins et la terre ferrugineuse du canal. La mission sociale de l’artiste continue de prendre forme : de nombreux élèves viennent apprendre à ses côtés, et recompose un lien autour de la pratique de la terre. Il s’agit bien de raisonner les modes de vie, de continuer à chercher les voies par lesquelles un monde apaisé et distant peut éclore. Cet équilibre négocié avec la terre est illustré par le principe des cuissons au raku : d’une bouteille de gaz faisant monter la température d’un réceptacle auquel elle est branchée, les pièces d’une fluorescence presque d’opale, juste avant la plongée dans la sciure de bois qui les embrase et les enfume, cuisent sous le regard de celle qui les a modelées et recouvertes. La cuisson raku est aléatoire, elle laisse aller la terre au contact du feu, librement. Ce moment ouvre un espace de sérénité qui comprend un rapport au temps qui passe, et dont la rouille texturée de la terre qui sort du feu témoigne, en sublimant l’éphémère et ravivant à la surface cette chimie terrestre ; puisque de la terre, tout provient.
Pablo Schellinger